dimanche 10 mars 2013

Jeudi 7 mars : moitié grenouille, moitié princesse



Nous quittons presque à regret le monastère de Râşca. Un moine nous montre la petite église (splendide) et me pose mille questions sur notre voyage. Pourquoi sommes-nous venus jusqu’ici ? Comment avons-nous entendu parler de ce monastère ? N’avons-nous pas peur des accidents, des voleurs et des grands méchants loups ? En m’écoutant, il semble mi-abasourdi, mi-émerveillé. Surtout par l’histoire de Gaël, qui, c’est vrai, a de quoi laisser pensif. Mais comment mange-t-il, depuis un an ? Je lui réponds qu’il achète de-ci de-là, et reçoit parfois de la nourriture des gens qu’il croise (je deviens un moment l’interprète de Gaël qui parle italien mais pas roumain). Là, le frère semble avoir une illumination : il disparaît et revient quelques minutes plus tard, chargé de pommes du verger. Si j’avais pris tout ce qu’il voulait nous donner, je n’aurais plus été en mesure de soulever mon sac. 

La journée est grise, presque morose. Je n’ai pas envie que ce périple s’arrête. J’irais comme cela jusqu’au bout du monde.


Nous passons par la petit ville de Fălticeni, où nous tombons sur une horloge internationale qui ressemble fort à celle de Berlin (dixit Gaël, car je ne connais pas Berlin). 


C’est le moment d’acheter quelques victuailles et de nous poser dans un bar pour boire un chocolat chaud et glaner quelques conseils. Un type nous propose un chemin qui semble sympathique : en deux heures de marche, nous devrions arriver dans un monastère de sœurs. À 17h, toujours sur la route, nous sommes arrêtés par une voiture de police. Que faites-vous là ? J’explique du mieux que je peux, et ni une ni deux les policiers nous proposent de faire demi-tour pour nous accompagner jusqu’au monastère (qui est encore à 15 km !). Marché conclu. Ils nous déposent en lisière de la forêt, à un kilomètre de notre point de chute. L’endroit est magnifique, mais les sœurs sont catégoriques : non, on ne peut pas dormir ici (tout le monde nous avait pourtant affirmé le contraire, policiers compris). Les anciens dortoirs ont été détruits et elles n’ont pas de place pour nous. Il est 17h30 et elles nous proposent sans scrupules d’aller à pied jusqu’à un autre monastère (qui se trouve à une vingtaine de kilomètres...). 


Nous retournons vers le village et frappons aux portes, mais personne n’accepte de nous donner un toit. Les habitants sont sur leur réserve et je les comprends bien.

Nous faisons du stop jusqu’à Cornu Luncii, à 5 km. Notre conducteur nous dit « ah ! vous allez à Fălticeni ?! J’ai justement un collègue qui s’y rend ! ». Et d’appeler le collègue pour qu’il nous prenne en passant. Je pense qu’il s’agit d’une sorte de taxi parallèle, mais en tout cas le type est très sympa et nous dit que si on a des sous, on peut lui en donner un peu, sinon, ce n’est pas bien grave. Il nous indique une petite pension pas trop chère (une nuit = 80 lei pour deux, soit 20 euros). Nous voilà à Fălticeni. Retour à la case départ. Je suis épuisée, pas tant par la marche que par les rebondissements de la fin de journée. Il faut croire que je ne suis pas tout à fait une guerrière. Je peux avancer tant qu’on veut mais être dans l’incertitude d’un toit alors que la nuit tombe, ce n’est pas une pure partie de plaisir. Gaël, fidèle à lui-même, est complètement serein.

C’est que je suis à moitié princesse, à moitié grenouille (vous savez, les grenouilles que l’on embrasse pour en faire de belles jeunes femmes aux boucles dorées ?). La transformation n’est pas totale, je suis entre deux mondes. J’ai quelque chose de l’amphibien qui coasse au bord d’une mare et se fout du grand luxe. Je tiens aussi de la princesse qui ne crache pas sur un lit douillet ou sur une douche chaude (mais pour les boucles blondes, c’est raté).


Je suis tellement épuisée que je m’endors en écoutant Thoreau parler avec la voix de Gaël (je vais rêver de champ de haricots).

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